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18 mai 1899

Depuis l’incident où Edward m’a défendue contre les gens étranges, nous n’en avons pas reparlé. J’ai bien essayé d’aborder le sujet, de lui demander qui étaient ces gens, pourquoi leur langage était différent, mais il m’a dit que trouver le plus grand livre du monde était plus important. Il a sans doute raison, et je trépigne d’impatience car nous arrivons demain à Mandalay ! Mais une fois que j’aurai résolu le mystère, nous allons devoir nous expliquer, lui et moi …

Le bateau accosta à Mandalay alors que le soleil était à son zénith. Jane, trépignant d’impatience, attendait sur le pont avec ses malles. Edward la rejoint ; il ne lui avait encore rien dit au sujet de la tempête. Elle avait bien plus important en tête à cet instant : son rendez-vous au plus grand livre du monde, avant le coucher du soleil.

Le capitaine manoeuvrait au milieu d’éclats de voix en birman. Le cœur de Jane battait à tout rompre : quand allaient-ils enfin accoster ? Elle se força à fermer les yeux et prit quelques respirations pour se calmer. Quand elle rouvrit les paupières, elle faisait face à un groupe de femmes qui lavait des vêtements dans la rivière avant de les faire sécher le long de la rive, dessinant un patchwork de couleurs. De nouveaux cris retentirent : le bateau était à quai !

Jane, suivie d’Edward, fonça vers la première chaise à porteurs venue.

“Kuthodaw ! Le grand livre”, tenta-t-elle de mimer.

Les coolies acquiescèrent et prirent la direction du centre.

Le trajet en chaise lui sembla une éternité. Jane en profita pour observer les rues, les rickshaws, les marchés où hommes et femmes, vêtus de tenues traditionnelles, patientaient sous le soleil de plomb. La vie en Birmanie indépendante s’écoulait plus lentement qu’en Basse Birmanie, songea la lady.

Elle se souvint soudain d’Edward, qu’elle avait presque oublié dans son agitation, et se retourna vers son rickshaw juste derrière. Il lui sourit, détendu. Comme s’il savait qu’elle allait réussir sa mission.

La chaise s’arrêta finalement devant un monastère en bois. Elle argumenta avec les coolies : “Pas Kuthodaw ici ! Je vais à Kuthodaw, le grand livre !” et écouta leurs réponses en birman en se tordant les mains de désespoir. Elle ne parvenait donc pas à prononcer le nom correctement …

Le soleil s’approchait de l’horizon, et la sueur perlait au front de Jane. Elle espérait tant arriver avant le coucher du soleil…

Soudain, elle se souvint des paroles de Mr Ashcroft : “il y a une zone très intéressante à visiter près de Kuthodaw où se trouve un monastère antique en bois …”

Elle était tout proche du but ! Elle remonta dans la chaise à porteur en manquant de trébucher sur son jupon et fit signe qu’elle les guiderait avec ses mains.

Ils errèrent entre les temples et monastères, apercevant même le Palais Royal et ses murs rouge brique se détacher sur fond de montagnes bleutées. La sueur dévalait le dos de Jane et elle se maudissait de n’avoir pas trouvé de carte de Mandalay. Soudain, elle aperçut des stupas de pierre blanche dépasser d’un mur, non loin du Palais Royal. Ce pouvait bien être les stèles !

“Stop ! Stop ! “ s’écria-t-elle.

Les coolies s’arrêtèrent. Elle leur montra le mur, agitant les mains avec fougue. Ils remontèrent jusqu’à trouver une entrée. Jane sauta de la chaise en direction d’un groupe de fidèles qui franchissait la porte.

“Excuse me ? Kuthodaw ?” lança-t-elle.

Un vieil homme recroquevillé leva le doigt vers elle. Kuthodaw était juste dans son dos ! Elle fit volte-face : l’enceinte d’un temple, blanchie à la chaux, lui barrait la route.

Elle abandonna les porteurs et hâta le pas. Ses bottines butaient sur les rochers jonchant la route terreuse. Un pas rapide résonna soudain : Edward l’avait suivie ! Jane reporta son attention sur le temple et repoussa les mèches qui collaient à son front. Enfin, une minuscule porte se dessina dans la paroi. Elle la passa, tremblant d’impatience, et se retrouva dans une allée bordée de stupas blancs. Le ciel se teintait de gris, et ses tripes se tordirent : et s’il était trop tard ?

Elle se précipita vers le bout de l’allée. Une Birmane la harangua, désignant ses pieds. Jane retira ses bottines à la hâte avant de s’élancer dans le temple. Les pas d’Edward retentirent à leur tour, mais elle n’y prêta guère attention.

Elle n’eut pas besoin d’aller bien loin.

Assis à côté d’une rangée de stèles blanches, en tailleur sur une natte, quelqu’un l’attendait.

Son grand-père.

Il se tourna vers elle, le visage rayonnant de fierté.

“Ma petite-fille tant aimée !” s’écria-t-il.

“Je te croyais malade ! répondit Jane en courant près de lui.

– Je le suis.”

Il lui fit signe de s’asseoir sur un muret, et elle s’exécuta malgré sa robe.

“Je n’ai jamais douté que tu suivrais ces étranges consignes.

– Mais pourquoi ?”

Son grand-père s’éclaircit la gorge.

“Je ne voulais pas que tu suives le destin que te traçait la société. Je te voyais si passionnée, par la cuisine, la musique, l’écriture … Pas te marier trop jeune à un homme que tu n’aimais pas. Je voulais te mettre à l’épreuve et voir si une de tes passions n’était pas si forte que tu aurais voulu en faire ton métier.”

Une quinte de toux interrompit son discours.

“Que voudrais-tu faire de ta vie, Jane ?”

La réponse était si évidente, si simple, qu’elle fusa en même temps qu’un grand sourire.

“Ecrire.”

Jane se jeta vers son grand-père pour l’étreindre. Quelle aventure elle avait vécue grâce à lui ! Et quelle vie merveilleuse s’offrait à elle !

“Tu n’avais pas besoin de faire tout ça pour que je choisisse d’écrire …murmura-t-elle.

– Dis-toi que cela fera un très beau livre.

– Oui… Je ne pourrai jamais te remercier !

– Tu l’as déjà fait.”

Le vieil homme se raidit, et prit une voix plus forte :

“Vous … partez ?”

Jane mit fin à son étreinte. Il s’était adressé à Edward, qui avait pris la direction de la sortie. Il s’avança vers eux, l’air mal à l’aise.

“C’est-à-dire que … bonjour, my lord.

  • Bonjour, répondit le grand-père. Puis-je vous demander qui vous êtes ?”

Jane écarquilla les yeux. Edward, si sûr de lui en toutes circonstances, paraissait complètement perdu. Et elle voulait la vérité sur la nuit de la tempête !

“Edward, je crois que vous avez des choses à me dire”, déclara-t-elle d’un ton qui ne souffrait aucune réplique.

Le jeune homme soupira, et finit par hocher la tête. Il s’approcha d’eux, et s’assit près de Jane.

“Je … avant tout, j’aimerais vous demander de ne pas m’interrompre, my lady”, fit-il en joignant les mains.

Jane hocha la tête, les sourcils froncés. Elle n’avait jamais vu Edward aussi grave.

“Je … devais vous empêcher d’arriver ici. De réussir votre voyage et surtout, d’écrire ce livre que vous venez d’évoquer.”

Jane ouvrit la bouche sous le choc. Comment était-ce possible ?

Mais Edward poursuivit :

“Votre livre va rester dans les mémoires comme le récit d’une femme indépendante. Il inspirera des générations de femmes libres, puissantes, y compris les futures reines d’Angleterre.

– Mais …” coupa Jane, mais elle s’interrompit.

Edward était-il complètement fou ?

“Si vous …reprit le jeune homme, si votre voyage prenait fin avant son terme, l’Angleterre aurait pu connaître une génération de rois, ce qui était dans … les intérêts de mon employeur, qui travaillait pour …”

Il s’éclaircit la gorge.

“L’un de ces éventuels rois.” acheva-t-il avant de se tourner enfin vers elle.

La tête de Jane se mit à tourner.

“Mais comment …”

Il leva la main pour parler.

“Pardonnez-moi, my lady. Je pourrais vous donner nombre de détails sur comment je suis arrivé ici, comment j’ai été entraîné à réussir cette mission … mais je vais devoir vous quitter. Ma présence ici vous fait courir un grave danger. Je dois retourner d’où je suis venu pour y remédier et peut-être vous rejoindre …”

Les mots fusèrent avant qu’elle n’ait pu s’en empêcher :

“Mais vous allez essayer ? De … revenir ?”

Auprès de moi, songea-t-elle.

La confusion qu’elle avait ressentie jusqu’ici s’évanouit d’un coup. S’il ne revenait jamais …

Edward détourna le regard.

“Oui.

– Dites-moi votre nom, ordonna Jane. Et d’où vous venez.”

Les questions se bousculaient toujours dans sa tête, mais son cœur avait parlé.

Le jeune homme se leva et fit quelques pas pour s’éloigner. Il leva la tête vers elle, et c’était comme si elle le voyait pour la première fois. Son regard intense, brillant et un peu fou, plongea en elle et la traversa tout entière.

“Je m’appelle Aluisio, et je viens de l’an 2076. ”

Un éclair bleu aveugla Jane, alors que plusieurs détonations se succédèrent. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, il avait disparu.

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👋 Je m’appelle Ingrid, je suis auteure et diplômée en écriture créative. Rejoins la communauté des auditeurs du Café des Auteurs sur jecrisunroman.eu/hello pour écrire avec nous et causer écriture, correction et édition !

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