Dans cet épisode, je reçois Anaïs Guiraud, alias thefrenchstoryteller sur Instagram. Elle est auteure, mais aussi juriste en droit des affaires, et propose de l’aide aux auteurs sur les thématiques des droits d’auteurs, du contrat d’édition… Dans cet échange, nous répondons aux questions qui nous sont posées le plus souvent sur les réseaux à ce sujet. Commençons par : peut-on citer ou faire telle chose dans un livre ? Peut-on citer une marque, des faits réels, une personne publique ? C’est parti !
Peut-on citer des personnes publiques, des marques dans un livre ?
Avant de commencer, je te présente ton intervenante !
Bonjour Ingrid ! Merci beaucoup déjà pour ton invitation dans ce podcast. Moi c’est Anaïs Guiraud, je suis juriste en droit des affaires. J’ai un parcours de plus de 20 ans d’expérience dans le droit spécifique des entreprises et des contrats notamment. Au niveau juridique, en parallèle de mon travail actuel, je propose aussi mes services aux auteurs sur la plateforme Le petit Romancier.
Je suis également autrice de 2 romans historiques. Le premier s’appelle Absolution et le deuxième qui est sorti début février s’appelle Les mirages de terre sainte. Ce sont des romans qui se passent au XIIIe siècle. C’est une période que j’affectionne beaucoup par rapport à une histoire personnelle. Les cathares, la croisade contre les albigeois etc. ce sont mes racines languedociennes. Ensuite, c’est un siècle qui est très intéressant au niveau historique, politique, sociologique … J’ai aussi une petite nouvelle qui s’appelle Fortunae et que j’ai voulue participative. Via mon compte Instagram, je pose des questions à mes abonnés pour orienter l’histoire.
Les Mirages de Terre Sainte, le dernier livre d’Anaïs
Avant d’attaquer les questions juridiques, détendons-nous un peu, on est quand même au Café des Auteurs !
Anaïs, qui sont les auteurs qui t’inspirent ?
Le premier, je pense, qui m’a fortement influencée ça reste Marcel Pagnol. Pour la petite anecdote, mon grand-père avait une très belle vitrine de livres quand j’étais enfant, qui me faisait rêver et notamment toute la collection des ouvrages de Marcel Pagnol dédicacée et dorée sur tranche en cuir. Il me disait toujours « quand tu seras grande, ils seront à toi ». Effectivement, ils sont à moi aujourd’hui, ils sont dans ma bibliothèque !
Marcel Pagnol, c’est vraiment un auteur que j’ai beaucoup apprécié. En dehors du récit de l’enfance, la bienveillance, la nostalgie… Il est aussi la preuve qu’on peut venir d’un milieu très modeste. Papa instituteur, une maman qui était femme au foyer à l’époque comme beaucoup, sans beaucoup de moyens financiers. Et qu’on peut arriver vraiment à suivre ses rêves. C’est quand même devenu un auteur très connu. C’est aussi le fondateur de tout ce qui est la cinématographie française. Notamment le fait que Marseille est encore aujourd’hui un centre cinématographique très important en France. Donc je trouve que c’est une personnalité très inspirante.
Le deuxième que je cite toujours c’est Serge Brussolo. Pour sa très grande créativité, sa capacité à écrire sur tout, et à faire ça bien ! J’aimerais vraiment lui parler pour dire : « Mais comment vous faites pour passer de la science-fiction au médiéval fantastique, au total fantastique avec la saga du Roi Squelette, à tout ce qui est romans pour enfants avec Peggy Sue, ou à des choses beaucoup plus sombres avec Hurlemort… Il y a vraiment une créativité incroyable chez cet homme et tout ce qu’il écrit !
Qu’a-t-on le droit de citer ou de faire dans un livre ?
Attaquons les questions que nous avons reçues sur ce qu’on a le droit de faire au sein d’un livre.
Peut-on citer un autre roman ? Un personnage, etc. ?
Quand on écrit un roman ou une œuvre quelle qu’elle soit, il faut comprendre qu’on est toujours protégé, en tout cas en droit français. (C’est différent aux USA). On est toujours protégé du moment que notre œuvre est originale. Le droit d’auteur c’est quelque chose que je peux qualifier d’absolu. Au moment où je vais créer, je vais avoir des droits d’auteur et serai protégé sur mes œuvres. A l’inverse, en tant qu’auteur, si je souhaite me servir d’une œuvre – qu’elle soit musicale, photographique, … -je dois respecter les droits d’auteurs des autres personnes.
Par exemple si on prend le droit de citer dans un roman une œuvre en particulier, une chanson, une autre œuvre, c’est possible dans le respect d’un certain nombre de normes.
Notamment dans ce qu’on appelle l’exception de courte citation.
Celle-ci est consacrée par le code de la propriété intellectuelle et donc tout à fait légale. Elle prévoit qu’en tant qu’auteur, si quelqu’un voulait utiliser une citation de notre livre, on ne peut pas le lui interdire, mais il faut respecter un certain nombre de choses et notamment le fait que la citation soit courte et l’auteur de l’œuvre cité (par une petite note de bas de page ou directement dans le texte). Par exemple : « elle fredonnait telle chanson de Jean-Jacques Goldman ».
Il faut également que la citation ne porte pas atteinte aux droits de l’auteur, ne déforme pas ses propos. Par exemple si je souhaite citer Simone Veil qui est connue pour être une très grande féministe, mais que dans mon ouvrage je souhaite me servir de la citation totalement à l’envers, pour aller contre le féminisme, ça peut poser un souci. Ce n’est pas correct parce que je ne respecte pas le droit moral de Simone Veil qui était féministe.
Tant qu’on est court, qu’on cite l’auteur et qu’on ne compte pas porter préjudice, tout va bien.
Peut-on citer quelqu’un dans un roman, écrire sur une personne publique ?
Il en va de même au sujet de la protection de la vie privée des personnes et leur citation dans des œuvres.
Si j’écris un roman sur des faits qui sont véridiques, avec des personnes qui ont existé, je dois m’assurer de ne pas porter atteinte à la vie privée de personnes encore vivantes ou de leurs descendants. Bien sûr, pour mon roman qui se passe au XIIIe siècle, j’ai peu de chance que les descendants de mes personnages se sentent visés ! En revanche, si j’écris un roman contemporain et fais intervenir des personnes qui sont vivantes ou qui ont des descendants, il faut que je fasse attention. Je peux nommer une personne réelle dans mon roman mais je ne dois pas porter atteinte à sa vie privée.
Dans certains cas, écrire sur une personne publique peut même relever de la diffamation, je pense à l’ouvrage de Régis Jauffret sur l’histoire du banquier Stern : les héritiers de la famille Stern trouvé que ça allait trop loin dans le roman et que cela portait atteinte à la mémoire et à la vie privée de leur parent, ce que je peux tout à fait on peut comprendre : il faut éviter de dénigrer, de causer un préjudice.
Pour moi, il faut bien garder en tête que s’il n’y a pas de d’intention de nuire, on peut écrire sur une personne publique sans risque.
Si j’ai envie de citer la maîtresse d’école du village, parce que cela me fait plaisir et que je souhaite lui rendre hommage, je peux le faire. Si Nicolas Sarkozy était président à l’époque, je peux le mentionner tant que cela ne lui cause pas de préjudice. Et si j’ai des doutes sur le fait que cela va la dénigrer ou pas, je peux me demander si j’ai vraiment envie d’en parler tout simplement.
Tout à fait, la limite est vraiment dans « l’intention de nuire ». Cela peut aussi fonctionner dans le sens de « prêter des pensées à une personne réelle, qui puissent lui nuire ». J’ai en mémoire Philippe Besson qui avait écrit un ouvrage sur l’affaire de Grégory Villemin – « le petit Grégory ». Il avait prêté à la maman des pensées de meurtre sur son enfant. Là c’est vraiment risqué surtout que cette dame a été suspectée, puis blanchie … Donc remettre ça sur le tapis est très gênant et lui porte préjudice. L’essentiel c’est de rester de bonne foi, surtout quand l’affaire est sur-médiatisée. Est-ce que j’ai vraiment envie d’inclure cette personnalité comme personnage récurrent dans mon roman ? Est-ce que c’est une nécessité ?
Si oui, on peut toujours garder à l’esprit que tant qu’on reste de bonne foi, et qu’on ne dénigre pas les gens, on ne porte pas atteinte à leur vie privée. Que ce soit des personnalités médiatiques ou des gens du quotidien comme tu le disais avec l’institutrice. En revanche, si je critiquais l’institutrice en disant qu’elle était nulle, ne m’avait rien appris … Elle pourrait estimer que cela lui porte atteinte.
Bien entendu, il faut être raisonnable : le risque va surtout exister pour des romans à grosse diffusion.
Si je vends cent romans, le risque est nettement réduit.
On peut également diluer : si je cite l’institutrice de mon village mais que j’appelle mon village autrement, si je renomme l’institutrice … je réduis encore le risque. Il y a eu des poursuites dans certains cas, intra familiaux notamment, de personnes qui s’étaient reconnues dans le livre. Mais cela reste rare car difficile à défendre devant les juges.
A-t-on le droit de citer une marque dans un roman ?
Au niveau des marques, on a 2 droits qui s’affrontent.
- Le droit des marques qui est protégé par le code de la propriété intellectuelle
- et le droit des auteurs – la liberté de création de l’auteur et sa liberté d’expression.
C’est vrai que si le roman et se passe dans un environnement contemporain, on a beaucoup de mal à ne pas citer de marques ! Notamment, il y a des marques qui sont tombées en désuétude. C’est à dire que c’était des marques déposées et qu’aujourd’hui on a tellement utilisé leur nom pour désigner quelque chose que ce ne sont plus des marques. A titre d’exemple : sopalin, frigidaire. En conséquence, les marques elles-mêmes sont très attentives au fait qu’elles risquent la désuétude, et donc à leur citation.
On peut tout à fait citer une marque dans un roman.
Néanmoins pour ne pas tomber dans l’usage illicite de la marque – c’est à dire la contrefaçon – il y a plusieurs critères à respecter.
Déjà il faudrait que ça crée une confusion avec la marque en question. Si je cite une marque de voiture dans mon roman, en disant que mon détective conduisait une Maserati noire, il y a peu de chance que Maserati trouve que c’est dénigrant pour sa marque. Ensuite, on ne va pas confondre le roman policier avec la Maserati ! C’est ça le risque de confusion. Un roman et une voiture sont quand même très éloignés, difficile de les confondre. Mais c’est arrivé. On a une jurisprudence qui concerne des stylos-billes très connus. Cette marque de stylo-billes a gagné contre un auteur qui, dans son roman, décrivait un auteur qui utilisait ces stylos sans dire que cette marque appartenait à cette marque de stylo très connus.
Si vraiment on veut citer la marque de manière récurrente dans son roman, en faire un emblème. Cela a été le cas pour Frédéric Beigbeder dans 99 francs qui citait tout le temps des marques dans un objectif de critique. Il suffit de citer la marque. « L’auteur utilisait des stylos de marque Truc ». En note de bas de page, on écrit : Marque Truc appartient à Truc. Au moins, on est couvert !
Il faut quand même comprendre que dans ce cadre-là, la liberté d’expression de l’auteur va primer sur le droit des marques.
Parenthèse droit ! En droit français il y a 3 piliers, la loi (les textes, codes) ; la jurisprudence (ce que disent les juges), et la doctrine : l’interprétation, les discussions, les commentaires ss des grands avocats, professeurs de droit.
Retour à la jurisprudence qui a fondé cette idée que la liberté d’expression reste au-dessus du droit des marques. On a eu par exemple le cas dans le film Camping. Il a été tout à fait toléré qu’une marque de luxe de textile soit citée et utilisée dans le film. L’un des personnages portait des vêtements de cette marque. Cela a été accepté parce que cela correspondait à l’image de la marque. Par exemple si votre roman se passe dans un milieu « luxe » et que votre héroïne porte tout le temps des sacs Chanel, ce n’est pas surprenant. Elle est riche, c’est sa marque de fabrique … On retrouve ça dans « Le diable s’habille en Prada » où énormément de marques sont citées.
Ne vous inquiétez pas trop sur l’usage des marques ! Si vraiment quand vous avez un doute, faites une petite note de bas de page. Chanel appartient à la marque Chanel. Et vous êtes tranquille.
On peut aussi le faire à titre parodique, caricatural. Il y a une exception en droit français qui est très particulière à la France. C’est l’exception de parodie et de caricature. J’ai à l’esprit un compte Instagram qui parodie Harry Potter : c’est légal ! Si vous êtes auteur dans le style humoristique ou que vous parodiez une émission télé par exemple, vous avez le droit de le faire.
Merci pour tous ces éléments ! Tu as donné l’exemple du « Diable s’habille en Prada » mais je pense aussi à la saga Millénium qui cite énormément de marques sans aucun souci. Elle parle d’une hackeuse et c’est vrai que c’est assez drôle de savoir quel matériel elle utilise !
Par ici pour lire la suite du script : Droits d’auteurs et contrats d’édition, une juriste te répond – CDA 6
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👋 Je m’appelle Ingrid, je suis auteure et diplômée en écriture créative. Rejoins la communauté des auditeurs du Café des Auteurs sur jecrisunroman.eu/hello pour écrire avec nous et causer écriture, correction et édition !
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